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Une monumentale ouverture avec Mahler

Une monumentale ouverture avec Mahler

Dans notre présentation du concert d’ouverture de la quatrième édition du Festival de Pâques, nous relations le propos que Schoenberg adressait au compositeur à l’issue de l’audition de la 3e symphonie. Il écrivait : « J’ai aperçu votre âme entièrement mise à nu devant moi, comme un paysage mystérieux et sauvage, plein de gorges et d’abîmes vertigineux, avec, tout à côté, d’agréables prairies, gaies et ensoleillées, des lieux de repos idylliques. J’ai ressenti comme un événement de la nature, avec ses terreurs et ses catastrophes, qui sont suivies d’arcs-en-ciel glorieux et apaisants. »
Et bien, figurez-vous que Schoenberg avait raison. Il ne flagornait pas… Cette œuvre est à la hauteur du génie, et un peu de la folie, de Mahler. C’est une longue, très longue chevauchée qui conduit l’auditeur dans un univers où les couleurs, les passions, les envies, les images s’entrechoquent, la fusion des atomes de musique produisant des réactions en chaîne de vie et de mort, de désespérance et de bonheur. Tout ceci construit, écrit, réglé par un Mahler qui aurait fait fi du passé, à l’exception de Bach, l’unique maître de musique qui aura hanté, du premier au dernier jour, les nuits de Gustav Bach, la cadence, l’architecture, la règle.
Pour construire à nouveau l’édifice monumental, c’est à un maître d’œuvre hors pair qu’ont fait appel les directeurs du Festival, en la personne de Ivan Fischer. Face au maestro, près de 200 exécutants : une centaine de musiciens du Budapest Festival Orchestra et le chœur, composé des femmes de l’Orfeo Catala et des pensionnaires de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, sans oublier l’envoûtante voix de la mezzo-soprano Anna Larsson. Des matériaux de luxe mis en œuvre par Ivan Fischer pour un exceptionnel moment de musique. Moment étant un doux euphémisme puisque cette symphonie, la deuxième plus longue de l’histoire de la musique, dure en moyenne une bonne heure et demie. Difficile de décrire par le détail ce que fut cette soirée. Du paroxysme à la quiétude, le grand voyage musical proposé par Mahler et servi par Fischer a tout d’abord mis en valeur les qualités d’un grand orchestre que la majorité des auditeurs découvraient en cette première soirée festivalière. Les cordes, tout d’abord… Trente violons (16+14) douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses, deux harpes et une âme commune, matinée d’accents slaves, aux couleurs chaudes, faisant preuve de précision sous la direction du maestro, mais aussi d’une écoute mutuelle idéale d’où naissent souvent les sons exceptionnels. Puis les vents, eux aussi tour à tour chatoyants, heureux, inquiétants à l’affût de la moindre nuance exigée par le directeur musical ; du grand art. Avec une mention pour les cuivres ; car c’est peut-être la première fois qu’il nous a été donné d’entendre des cuivres aussi francs, limpides et généreux, eux aussi avec un son unique. Et un grand bravo aussi à l’homme des coulisses qui jouait un cor de poste, instrument deux fois plus petit qu’un cor traditionnel qui, à l’origine, joué par le cocher, signalait l’arrivée et les départs de la malle poste aux relais… de poste. Ce cor sert aujourd’hui d’emblème à nombre de postes de pays d’Europe centrale et orne souvent leurs timbres. Quant au timbre de celui qui fut joué dans les coulisses mardi soir, il était somptueux. Beaucoup de travail, aussi, pour les six percussionnistes présents, attentifs, qui forment l’un des piliers essentiels d’une partition où les contretemps, décalages, ruptures volontaires s’enchaînent. Et toujours sous la direction lumineuse d’Ivan Fischer. « O Mensch ! Gib Acht ! » Ainsi débute le lied formant le 4e mouvement. Un moment tout en douceur et en délicatesse où la voix de la mezzo Anna Larsson nous transporte dans un ailleurs qui, s’il n’est pas serein, est situé assez loin du tellurisme qui a, jusqu’ici, secoué la salle. Que dire de cette voix sinon louer un legato éblouissant, une puissance et une projection idéales ainsi qu’une maîtrise totale digne des plus grandes. Voilà une dame que nous aurions plaisir à entendre dans les derniers lied de Strauss… Enfin, et c’est un réel plaisir que d’en parler ici, aux côtés de l’excellent Orfeo Catala, la maîtrise des Bouches-du-Rhône chère à Samuel Coquard a été à la hauteur de l’événement, voix cristallines, limpides et précises à l’attaque du dernier mouvement de la symphonie. La Maîtrise recueille elle aussi légitimement une belle part du succès remporté par cette interprétation. Une monumentale ouverture qui laisse désormais augurer du meilleur pour cette quatrième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence.